REPORTAGE. Pour certains, la course à pied, ce n'était pas assez. Il leur faut des sensations fortes. C'est ce qu'offrent les courses à obstacle dont les Spartan Race et autres dérivés. Mais quel est donc ce plaisir à suer, en arracher, le tout dans la bouette?
Selon la professeure au département de kinésiologie de l'Université de Montréal et spécialiste de la sociologie de l'activité physique et du sport, Suzanne Laberge, les courses à obstacles sont un véritable produit de leur époque, partageant plusieurs caractéristiques de l'hypermodernité qui caractérise notre société actuelle, à commencer par la valorisation de soi, présente dans nombreuses sphères de la société.
Ainsi, «la valorisation s’applique pour nos performances, pour dire : "J’ai fait ce que personne n’a envie de faire", indique Mme Laberge. Qui a envie de se rouler dans la bouette? de sauter sur des trucs en feu? de se faire tapocher? Ça prend un certain guts. Ce n’est pas l’fun. Le plaisir, c’est la valorisation qu’on en retire : On l’a fait!»
Une autre caractéristique de l'hypermodernité qui correspond également aux courses à obstacles est la diversité qu'offre ce type de courses. Les épreuves sont toujours très variées, aucun parcours n'est identique. «Les gens se tannent vite, alors il faut se renouveler, souligne Mme Laberge. Là, on va vivre une expérience différente. Ce n'est pas comme une partie de hockey et une course de 10 km.»
De plus, les courses à obstacles sont bien de leur temps en raison de leur dimension de jeu - lors de certaines courses, les participants sont déguisés en guerriers -, de liberté, et de recherche de sensations fortes.
À la mode
Les Spartan Race, tout comme tous les autres sports extrêmes qui ne cessent de faire leur apparition, répondent à un effet de mode, selon Suzanne Laberge.
«Rouler en skateboard sur la glace, le slackline… il n'y a pas de fin à l'imagination, donne en exemple la professeure. Mais pourquoi? Parmi les mots clés du capitalisme, on retrouve : innovation et compétition. L’activité physique est un produit de consommation, elle doit se renouveler.»
Ressortir de la masse
Mme Laberge ajoute que les médias sociaux répondent également à ce besoin de valorisation. Pas que cette dernière ne soit née avec ces outils, mais «le narcissisme des selfies, de se photographier à tout bout de champ et de partager ses performances, c'est une exhibition de soi à un niveau très poussé», soutient-t-elle.
Selon cette dernière, les médias sociaux ont cependant un effet multiplicateur. Le défi de se valoriser, donc de se distinguer, ne se résume plus à se comparer à sa gang d'amis de l'école ou aux jeunes de son quartier, mais bien à toute la communauté branchée au bout de son cellulaire.
«Pour se différencier, c’est plus de job! analyse Mme Laberge. Et ça roule très vite. Oui, vous être la sommité aujourd’hui, mais demain, vous ne l’êtes plus, quelqu’un d’autre l’a fait, mieux que vous. C’est particulier et très dur pour cette génération. Il faut être le meilleur, tout le temps. C’est le dépassement de soi continuel.»
Toutefois, les réseaux sociaux ont aussi l'avantage de réunir les gens partageant des intérêts communs, nuance Suzanne Laberge. En témoignent les nombreux groupes Facebook sur la course à pied, grâce auxquels les adeptes échangent, oui leurs performances, mais aussi des trucs et conseils.
À ce sujet, le physiologiste Guy Thibault ne peut voir que d'un bon œil ces regroupements d'adeptes. «L'une des façons de maintenir sa motivation pour courir est de se rapprocher de ceux qui font de la course à pied, mentionne-t-il. On veut se comparer, on veut faire mieux!»